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FRANZISKA MEGERT DE LIMMATÉRIALITÉ DES ANGES
À LARCHITECTURE DE LUMIÈRE
Par Ante Glibota*
Un chemin de la création qui commence avec des dessins, des collages, des superpositions de photographies, puis se dirige vers la vidéo et le cyber espace pour se volatiliser dans léphémérité, nest pas un chemin ordinaire. Mais cest précisément celui qua emprunté lartiste suisse Franziska Megert.
Son processus de visualisation de lespace multidimensionnel, empreint dune présence fugitive et immatérielle, est pourtant perceptible à différents degrés dans la totalité de son parcours artistique, laissant un sentiment de structuralité, de solidité et de singularité dans une recherche empreinte de poésie qui est au centre de ses projets dinvestigation. Ce dernier point, la poésie dexpression, demeure chez Megert la colonne vertébrale de ses projets, même quand ils sont porteurs dune technicité de limage, liée notamment à ses projets architecturaux ou pour mieux dire à sa virtualité architecturale. Intervenant dans son imaginaire avec poésie, à une époque où la poésie a plutôt du mal à vivre, et intervenant dans un espace réel, laissant limaginaire être désiré au détriment de lapport culturel, lattitude de Megert nen est que plus rassurante, vivante et enchanteresse.
Franziska Megert, "HOMMeAGE", computeranimation
La première exposition personnelle de sa carrière a eu lieu dans un musée, le Kunstmuseum à Berne en 1982. Franziska Megert a réalisé depuis une cinquantaine de projets, des bandes vidéo, des animations dordinateurs, des installations vidéo, puis des installations vidéo en relation avec larchitecture. On peut dire que ses projets sont rares, quils résultent dune réflexion longuement mûrie. Mais à travers le temps ils se métamorphosent, même sil paraît étonnant de constater que la fin et le commencement sont similaires dans leur égalité.
Franziska Megert travaille dans le domaine des nouveaux médias, de limagerie électronique qui regroupe en soi le temps, lespace et le mouvement et qui donne donc à lartiste le sentiment dune similarité structurelle. En superposant, elle travaille en effet avec des opposés, des tendances antagonistes et des paradoxes incorporés dans une relation structurée, ce qui veut dire la communication au sens le plus large du terme.
Elle est visiblement intéressée par limmatériel puisque le monde psychique est de nature éphémère et dynamique, et puisqu'il est immatériel il nécessite plus despace et plus de temps que tout ce qui possède une équivalence matérielle.
Ses projets psychiques et ses images électroniques ont en commun une similarité de structure, comme par exemple « Le lit de roses » qui est un lit construit avec 16 moniteurs, en tant que lieu dactions opposées. La rose qui pique et la rose qui sent bon, une belle fleur qui nous attire et nous blesse par son épine. Le lit comme lieu de naissance et de mort, damour et de haine, denvie et de répugnance
Très souvent dans ses projets,elle nhésite pas à faire appel à limagerie mythologique pour accentuer la pertinence des idées explorées, comme dans « Arachné Vanitatis » qui évoque une anecdote de la mythologie grecque mentionnée par Ovide dans ses « Métamorphoses ». La tisserande Arachné affronte la déesse Pallas métamorphosée en une méconnaissable vieille femme et à laquelle elle lance avec dégoût et mépris « Tu nas plus ta raison et ta longue vieillesse taccable ; oui, avoir vécu trop longtemps est un malheur
». Pour la punir, la déesse Pallas, à son tour, transforme Arachné en araignée-tisserande. Franziska Megert transforme en coulisses iconographiques les métamorphoses des créatures femelles qui perdent à tour de rôle leur matérialité. À travers limmatérialité des images vidéo, Franziska Megert ramène cette transcendance matérielle à un niveau métaphysique. Elle nous conduit à réfléchir à tous les paradoxes de lenvironnement humain, la manière dy être et de vivre cette humanité , cette transition entre la mort et léternité, cette quête déternité qui exclut la mort en se plaçant en perte de matérialité.
Une autre dimension de lintérêt des recherches de Franziska Megert réside dans lambivalence envers la vidéo et notamment dans ses préoccupations médiacritiques, comme par exemple dans son projet « Der Tunel » où lartiste explore et examine la qualité des stimulus électromagnétiques par rapport à notre relation avec ces stimulus, la mesure sensorielle du corps par rapport aux signaux. Dans un autre projet « Off », lartiste démontre le sens et labsurdité de laccélération de la transmission de linformation à lâge digital où la communication est prétendue et simultanément exclue, où le début signifie en même temps sa finalité.
La véritable maestria de lartiste suisse se révèle dans le projet HOMMeAGE, animation par ordinateur et installation vidéo (un player, un projecteur vidéo), dans lequel lartiste joue sur lambiguïté dintention dans les titres, comme dans le contenu.
Dans sa vidéo, lunité de temps et lunité de lieu sont observées à lintérieur de chaque scène. La prise de vue est mobile à la fois le long de laxe du temps et le long de laxe des distances.
Elle anime extraordinairement cette allégresse dimages et on a limpression que tout lunivers et que tout le passé sont présents dans cette séquence de trois minutes et demi. Il existe une finesse dans lanalyse de lunivers corporel des femmes à travers les siècles et à travers des pinceaux si variés où les Maîtres anciens côtoient lavant-garde contemporaine. Les corps sont recousus, découpés dans toutes les situations et positions, emplissant lespace virtuel flottant, découvrant les racines profondes du corps de la femme et dont le rire narcissique souligne le pouvoir magique quil exerce sur le spectateur.
Femmes dinstinct, sans pudeur, portant en elles le point dinterrogation vaporeux, voilà ce que révèlent ces idées reçues, méconnues ou trop bien connues.
Parmi dautres projets virtuels se situe « Anges », animation par ordinateur en deux versions (7 minutes « Joint Party » et 15 minutes « Les anges et les autres »). Ayant recours à liconographie de lange dans les deux versions, Megert se lance dans ce thème à longueur dunivers . Lartiste veut nous rappeler que dans lAncien Testament, chez les Israélites du temps de Moïse, il y avait sur le coffret qui gardait les vux deux chérubins en or, unique sculpture autorisée dans lart liturgique juif, puis dans liconographie chrétienne, dans les catacombes et jusquà la Renaissance florissante, comme un prolongement naturel.
Megert nous montre que luniversalité de lange apparaît dans dautres religions et civilisations en changeant de forme : chez les Persans comme amesa spentas (Saint-Esprit), fravasis (lesprit protecteur), devas (lesprit du mal), dzin dans lIslam, les anciens romains ont cru aux démons, aux génies, aux Penates, les Grecs en daimonia, sans parler des Egyptiens, des Indiens
Megert les choisit dans différentes civilisations et religions, elle les habille et les déshabille selon leurs différents ordres dimportance. À travers cette galerie danges, elle nous montre Fra Angelico, Raphaël, Rubens, Vouet, Rigaud, Murillo, Giotto
, depuis les anges des vases et des mosaïques jusquaux artistes contemporains, cest en somme lhistoire de lart. Elle nous virtualise lhistoire de lart en lespace de quelques minutes, depuis les anges des cavernes romaines, à ceux des mosaïques byzantines et carolingiennes, stratifiant les mouvements artistiques, décomposant et recomposant la galaxie des anges et des archanges, sans corps, aux têtes ailées, jolis enfants fraîchement conçus sous linfluence zoroastrienne, comme des êtres immatériels. Bien sûr, la volonté de Megert nest pas de nous instruire , ni détablir une documentation ou une illustration savante, mais de faire un enchaînement dassociations et un motif pour un processus de réflexion sur luniversalité des êtres à travers un ange qui vole immatérialisé hors de sa mythologie, puisque même la mythologie appartient à la psychologie du monde immatériel.
« La ville des immortelles », que lartiste a également réalisé en deux versions dont la seconde est intitulée « La ville des immortelles-inondée », est imprégnée didées déconstructivistes, de composition et recomposition dimages darchitecture virtuelle. Franziska Megert capture quelque chose dessentiel en créant une composition fluide et utopique, la naissance et la disparition dune ville à larchitecture urbaine hybride, une imagerie qui fait date dans notre mémoire et où la poésie et lironie sont de mise. Les palais urbains virtuels, les places publiques, nés dune esthétique fragmentaire, sont confrontés, même sous une forme virtuelle, à la scène créative contemporaine darchitecture , opposant larchitecture authentiquement moderne à lhistoricisme régressif du post-moderne, qui tombe symboliquement dans cette animation avec ses colonnes palladiennes, faisant place à une architecture du potentiel poétique et moderne.
Curieusement, « La ville des immortelles » est vide de genre humain. Une vision apocalyptique sous-jacente plane. Dans cette image recomposée « La ville des immortelles inondée » nest-elle pas une Troie ou une Pompéi imaginaire de notre temps ou du futur et qui rejoint une autre uvre de lartiste intitulée « Naked Eyes-Apokalypse » réalisée quelques années auparavant.
Larchitecture est manifestement lun des intérêts majeurs dans la création récente de Megert, ce dont témoigne le projet « Neue Messe Düsseldorf (M2) réalisé avec les architectes Ortner & Ortner, puis le projet pour la Bibliothèque de lUniversité de Dresde et bien sûr lun des plus importants projets dans le genre le « Quartier des Musées » (« MuQua ») à Vienne avec le même groupe darchitectes. Ce dernier projet étant consacré à la recherche de la lumière à travers larchitecture.
Par cette vision des choses, Franziska Megert nous montre quelle possède en elle lil du feu intérieur, les rayons visuels qui permettent de reconstituer le parcours de la créativité architecturale de la lumière. Ses lignes droites et leur vitesse qui se répartissent dans la virtualité dans l architecture de lumière, se dévoilent dans le champ expérimental, la propagation rectiligne de la réflexion, de la réfraction
Désormais lévidence simpose, nous avons devant nous lune des plus créatives artistes européennes dans le domaine des nouveaux médias.
A.G., janvier 2003.
* Historien dart et darchitecture
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